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Première définition

Dans un premier temps, je propose de définir l’intuition en mathématiques comme étant une idée qui, dès son apparition, conquiert le coeur du mathématicien. Même si ce dernier ne peut pas encore affirmer que son intuition constitue un réel résultat (pour cela, il faudrait qu’il y ajoute un développement rigoureux), cela n’empêche qu’il a la forte conviction d’être sur le bon chemin.

L’idée intuitive n’étonne guère par son excentricité, mais plus souvent par son aspect d’évidence manquée par le conscient. Le mathématicien s’exclame « Mais c’est bien sûr ! » avant de se lancer dans un travail de vérification consistant à prouver que son intuition était la bonne.

Andreas Speiser1 utilise l’exemple très évocateur suivant. Comment prouver le théorème disant que la somme des angles d’un triangle vaut 180° ? En cas d’hésitation, il suffit de proposer la piste suivante : tracer la parallèle à un des côtés, passant par le sommet opposé.

La somme des angles d'un triangle vaut 180°.

Le théorème se démontre alors immédiatement par des considérations sur les angles alternes internes. Speiser écrit à ce sujet :

Lorsque l’on a trouvé la bonne construction, tout s’éclaire d’une seule considération intellectuelle et l’on n’a plus besoin de clés formelles. Souvent la découverte de la bonne construction demande un travail de longues années et la réussite se manifeste parfois par une illumination brutale. Tous les grands mathématiciens et les artistes nous racontent de tels moments de bonheur.

L’illumination brutale dont parle Speiser n’est autre que ce que j’appelle intuition. Nous verrons que, loin d’être un phénomène aléatoire, l’intuition est un processus de l’esprit dont une étude célèbre nous a été faite, entre autres, par Henri Poincaré et Jacques Hadamard.

Mais avant de se pencher en détail sur le sujet, on peut d’abord se poser deux questions à propos de l’intuition : s’agit-il d’un phénomène conscient ? Est-il aléatoire ?

Si on se réfère aux précédentes citations, il est clair que l’intuition ne fait pas partie du conscient, ce qui est exprimé par le fait qu’elle apparaisse sous la forme d’une étonnante illumination soudaine. Hadamard a eu son intuition à un moment où il ne pensait absolument pas aux mathématiques : lors d’un brusque réveil ! L’intuition n’est pas non plus un phénomène aléatoire : elle apparaît souvent pour apporter une solution à un problème qui préoccupait déjà le mathématicien, même s’il n’y travaillait pas au moment précis où se produit l’illumination.

On penchera vers l’hypothèse que l’intuition est un processus inconscient, ce que Poincaré exprime :

Ce qui vous frappera tout d’abord, ce sont ces apparences d’illumination subite, signes manifestes d’un long travail inconscient.

  1. Andreas Speiser (1885-1978), mathématicien et ami de Herman Weyl. Ils sont nés la même année et ont été élèves de David Hilbert. Speiser a consacré ses recherches à la théorie des nombres, la théorie des fonctions, la théorie des groupes et les algèbres non-commutatives. []

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