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Limites du falsificationnisme sophistiqué

Le falsificationnisme est une conception assez remarquable, car elle fournit une véritable méthodologie, aux qualités certaines, au scientifique. Cependant, Popper lui-même était conscient de la difficulté d’appliquer cette méthodologie en pratique. Les limitations essentielles sont les suivantes :

Limitation 1. Celle-ci est la même que celle qui a été portée contre l’inductivisme. Le falsificationnisme suppose que l’observation empirique est infaillible et lui confère le pouvoir d’infirmer une théorie. Seulement, l’observation est faillible, essentiellement parce qu’elle présuppose une théorie préliminaire qui est faillible. [Voir l’article La théorie précède l’expérience.]

Limitation 2. Celle-ci est de nature historique. En effet, un grand nombre de théories ont été falsifiées après leur apparition, sans qu’elles n’aient été abandonnées pour autant.

Exemple : Lorsque Copernic a introduit sa théorie héliocentrique du système solaire, celle-ci prédisait que la taille de Vénus devait changer notablement au cours de l’année. Or, l’observation empirique montrait une taille constante. La théorie copernicienne n’a pas été rejetée pour autant.

Cet exemple illustre également la première critique. En effet, l’observation que la taille de Vénus ne varie pas est fausse ! En effet, les observations se faisaient à l’oeil nu à l’époque, et l’oeil évalue mal les dimensions d’une petite source lumineuse. Suivant la première critique, l’observation présupposait que l’oeil était un bon témoin, ce qui l’a rendue faillible. Par la suite, une observation au téléscope a bien montré que la taille de Vénus était variable.

Exemple : Au 19e siècle, la mécanique newtonienne a été falsifiée par l’observation que l’orbite de Mercure était en rotation autour du Soleil d’une manière incompatible avec la théorie (avance du périhélie de Mercure). De nombreuses hypothèses ont été introduites pour expliquer cette observation, comme par exemple celle que des astres comme le Soleil influençaient le mouvement de Mercure ou encore le postulat de l’existence d’une nouvelle planète hâtivement baptisée Vulcain (hypothèse motivée par le succès de la découverte de Neptune). Malheureusement, aucune de ces tentatives n’a pu expliquer l’anomalie de Mercure. La théorie newtonienne n’a pas été abandonnée pour autant.

Le falsificationnisme sophistiqué peut cependant répondre à cette critique. En effet, la vision de la science qui progresse par falsification ascendante implique aussi qu’une théorie est acceptée tant qu’il n’existe pas de meilleure théorie pour la remplacer. Ainsi, une théorie actuelle pourrait être falsifiée, mais pas rejetée tant qu’elle reste « ce qui se fait de mieux » pour l’époque.

Limitation 3. Selon elle, il est impossible de réellement falsifier une théorie par l’expérience.

En effet, entre la formulation d’une prédiction théorique et la mise en oeuvre expérimentale de sa vérification, un grand nombre d’hypothèses auxiliaires sont ajoutées, liées au conditions adoptées pour l’expérience (notamment, les hypothèses sur le fonctionnement des instruments de mesure). Lors d’un test expérimental, une théorie est donc toujours entourée d’une ceinture d’hypothèses auxiliaires. Si l’expérience est un échec, on ne peut savoir si c’est la théorie qui est fausse, ou l’une des hypothèses auxiliaires.

Exemple : On peut reprendre ici l’expérience de Hertz qui a tenté de mesurer la vitesse des ondes radio. La théorie prédisait que cette vitesse est celle de la lumière, et l’une des hypothèses auxiliaires lors de l’expérience était que les dimensions du laboratoire ne jouaient aucun rôle. L’expérience fut un échec, et pourtant la théorie était correcte. La faute était à placer sur l’hypothèse auxiliaire : en effet, les ondes radio se réfléchissaient sur les murs et faussaient les mesures.

Il n’existe donc pas de falsification concluante. Ainsi, le falsificationnisme ne peut pas constituer une méthodologie utilisable en pratique, ce dont Popper avait conscience. Ce qu’il a proposé avec le falsificationnisme, c’est en fait un critère (théorique, logique) de démarcation entre les théories scientifiques et non-scientifiques. Sur ce point, son critère reçoit encore aujourd’hui l’approbation (éventuellement modérée) de la plupart des scientifiques. Une théorie qui ne formule pas de prédiction capable de l’infirmer, est en quelque sorte une théorie qu’il est impossible de montrer qu’elle est fausse. On peut raisonnablement douter qu’une telle théorie soit un progrès.

 
 
 

Référence :

CHALMERS, Alan F., Qu’est-ce que la science ?, Paris : La Découverte, 1987.

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