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Les coulisses de la révolution copernicienne

Le 13 octobre 2007 par Sephi, dans Physique

Le système solaire

Le terme révolution copernicienne désigne aujourd’hui un changement de paradigme célèbre : celui du géocentrisme qui a laissé sa place à l’héliocentrisme. Dans les moeurs, on voit souvent cette période comme une transition du « vieux monde obscur » (hérité des Grecs) au « monde lumineux » de l’astronomie moderne. Cependant, à quel point ce passage a-t-il été radical, et dans quelle mesure peut-on l’appeler une « révolution » ?



Quelle était la motivation de Copernic ?

L’homme qui a initié la révolution copernicienne est, bien sûr, l’astronome et mathématicien Nicolas Copernic (1473-1543). Son ouvrage majeur est le célèbre De Revolutionibus, paru en 1542 peu avant sa mort, dans lequel il présente sa théorie héliocentrique. Avant d’y jeter un oeil, il est intéressant de revenir sur un texte antérieur de Copernic, rédigé entre 1508 et 1514 (mais publié seulement à partir du 19e siècle). Il s’agit du Commentariolus, dont l’intérêt est qu’il répond à une question naturelle à propos de son auteur : pourquoi rompt-il avec la tradition géocentrique vieille de 15 siècles ?

Copernic y expose d’abord les défauts qu’il trouve dans le géocentrisme de Ptolémée :

Bref Exposé de Nicolas Copernic
sur les Hypothèses des Mouvements Célestes
qu’il a constituées.

Mais cependant les théories qui ont été avancées un peu partout sur ce sujet par Ptolémée et par la plupart des autres astronomes, encore qu’elles fussent en accord avec les données numériques, semblaient comporter une difficulté majeure. Elles n’étaient suffisantes, en effet, que si l’on imaginait encore certains cercles équants, à cause desquels la planète n’apparaissait mue avec une vitesse toujours uniforme ni sur son orbe déférent ni autour du centre propre [du monde]. Aussi une théorie de cette espèce ne semblait-elle ni suffisamment achevée ni suffisamment accordée à la raison.

Remarquons d’abord que selon Copernic, la théorie géocentrique était en accord avec les observations numériques. Ainsi, de son point de vue, le mérite de sa théorie héliocentrique ne se trouvait pas dans l’aspect quantitatif, mais bien dans l’aspect qualitatif.

Ce qui semble le déranger dans la théorie géocentrique, c’est le fait que les planètes ne se déplaçaient pas à vitesse constante sur leurs orbites (ou orbes), et cela à cause de l’introduction des multiples épicycles (ou cercles équants) ptoléméens. L’absence de mouvement uniforme était-elle la critique principale de Copernic ? Cette hypothèse se confirme dans la suite du texte :

Ayant donc, pour ma part, remarqué ces difficultés, je me demandais souvent si d’aventure l’on pouvait trouver un système plus rationnel de cercles d’où toute irrégularité apparente découlerait, tandis que tous seraient mus uniformément autour de leurs centres, comme l’exige le principe du mouvement parfait.

On voit ici une volonté purement platonicienne : Copernic était motivé par l’élaboration d’une théorie dans laquelle les planètes décriraient un mouvement uniforme sur des orbites circulaires. Ainsi, il souhaitait avant tout revenir à un cadre platonicien, ce qui est assez ironique vu qu’il est considéré comme l’un des initiateurs de la modernité !

Dans ce même ouvrage, Copernic présente ensuite sept postulats fondamentaux, suivis de sa description héliocentrique du système des planètes (qui s’arrêtait à Saturne). Parmi les postulats, outre les affirmations sur la place centrale du Soleil dans le monde ou sur l’orbite de la Lune autour de la Terre, on peut remarquer l’ébauche d’un principe de relativité :

Cinquième postulat

Tout mouvement qui paraît appartenir à la sphère des étoiles ne provient pas d’elle, mais de la Terre. (…)

Ce principe mènera plus tard au principe de relativité de Galilée. Il s’agit là de l’un des éléments réellement novateurs introduits par Copernic.

La querelle sur le réalisme de l’héliocentrisme

Georg Joachim Rheticus (1514-1576), après avoir passé deux ans à étudier avec Copernic, devient son premier partisan et publie un ouvrage intitulé Narratio Prima, dans lequel il présente et défend les idées de son maître. Ce dernier les publiera à son tour en 1542 dans son célèbre De Revolutionibus Orbium Coelestium.

Il y avait en fait deux versions de cet ouvrage : la version officielle publiée et la version personnelle, dédicacée au Pape Paul III. La première contient un avant-propos assez particulier rédigé par Andreas Osiander (1498-1592). Il y présente d’abord l’accueil réservé du public :

De Revolutionibus
1543
Avant Propos d’Osiander

Il y a déjà eu des rapports largement répandus à propos des hypothèses de ce travail qui déclare que la terre se meut et que le soleil est immobile au centre de l’univers. Ainsi, certains étudiants, j’en suis certain, sont profondément choqués et prétendent que les arts libéraux qui étaient établis depuis longtemps sur des bases solides ne devraient pas être mis en doute.

Osiander va-t-il ensuite déclarer que cet accueil hostile est injustifié ? La réponse étonnante est non. En effet, il décrit le travail d’un astronome comme étant une recherche d’hypothèses en vue de réussir des calculs en accord avec l’observation. Le rôle de ces hypothèses n’est pas d’expliquer réellement le monde, mais bien de servir à des calculs corrects.

Car ces hypothèses ne doivent pas être vraies ni même probables. Au contraire, si elles permettent des calculs en accord avec les observations cela suffit.

Ainsi, Osiander déclare que la théorie héliocentrique ne représente pas la réalité du monde, elle n’est qu’un artifice pratique permettant de faciliter les calculs ! Il prétend donc que la théorie héliocentrique est à recevoir dans un cadre purement instrumentaliste.

Il est possible qu’Osiander ait rédigé un tel avant-propos dans le but de protéger Copernic. Il ne fait pas de doute que pour ce dernier, sa théorie est une représentation fidèle du monde. En effet, dans sa propre préface dédicacée au Pape, Copernic écrit :

Préface de Copernic

Je peux déjà imaginer, Saint-Père, que dès que certaines personnes entendront que dans ce livre que j’ai écrit (…), j’attribue un certain mouvement au globe terrestre, elles crieront que je dois être immédiatement désavoué en même temps que cette opinion. Car je ne suis pas entiché de mes propres opinions au point de dénigrer ce que d’autres peuvent en penser.

Il était donc bel et bien au courant des risques impliqués par sa théorie. Malgré cela, il affirme fermement sa position :

Je suis conscient de ce que les idées d’un philosophe ne sont pas soumises au jugement du commun des mortels car il est de son devoir de rechercher la vérité dans toutes choses jusqu’aux limites imposées par Dieu à la raison humaine.

Ainsi, conscient des réticences du public, Copernic se donne malgré tout pour devoir de maintenir sa position qu’il estime vraie. Il s’agit là d’une attitude entièrement réaliste : pour Copernic, le système des planètes est réellement héliocentrique.

L’avant-propos d’Osiander et la préface de Copernic préfigurent la querelle sur le réalisme de l’héliocentrisme qui fera rage pendant plus d’un siècle.

La touche finale de Kepler

Johannes Kepler (1571-1630) mettra fin à la querelle en complétant l’héliocentrisme par ses travaux sur les orbites elliptiques. Rappelons la remarque de Copernic selon laquelle la théorie géocentrique était en accord avec les données numériques, ce qui sous-entend que sa propre théorie héliocentrique n’était pas quantitativement meilleure (ce qui ne nous étonne pas aujourd’hui : les planètes ne suivent pas des orbites circulaires).

Il convient cependant de distinguer deux démarches dans la confrontation d’une théorie avec les données : la démarche qui consiste à rendre compte des données déjà récoltées, et celle qui vise à prédire de nouvelles données. Il est probable que Copernic n’ait fait allusion qu’à la première démarche. En effet, Kepler présente dans son Mysterium Cosmographicum (1596) ses raisons d’opter pour la théorie copernicienne :

(…) ce qui me donna pour commencer confiance en lui [Copernic] ce fut le très bel accord qui existe entre tous les phénomènes célestes et les opinions de Copernic : en effet, Copernic non seulement démontrait les mouvements passés et rapportés depuis la plus haute antiquité, mais encore annonçait les mouvements à venir non pas avec une certitude absolue, bien entendu, mais en tout cas avec bien plus de certitude que Ptolémée, Alphonse et tous les autres astronomes.

Kepler souligne bien la supériorité quantitative de la théorie héliocentrique par rapport à la théorie géocentrique, mais dans la démarche prédictive. Les deux théories rendent aussi bien compte l’une que l’autre des observations, mais seul l’héliocentrisme a une meilleure capacité de prédiction.

Pour terminer, remarquons que la raison principale qui a orienté Kepler vers l’héliocentrisme n’était pas ce pouvoir de prédiction :

Mais [ce qui m’a le plus] convaincu c’est que Copernic seul donne, de la manière la plus élégante, la raison de choses dont les autres astronomes nous avaient appris à être surpris, et que lui seul ôte la cause de cette surprise, qui réside dans une ignorance des causes.

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