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Les programmes de recherche de Lakatos

Le 12 novembre 2006 par Sephi, dans Philo des sciences

Imre Lakatos

Conscient des limitations du falsificationnisme de Karl Popper, Imre Lakatos propose dans les années 70 une vision de la science qui s’inspire du falsificationnisme tout en s’affranchissant de ses critiques. Son projet a-t-il réussi ?


Description

Selon la vision falsificationniste de la science, une théorie doit être abandonnée dès qu’une observation expérimentale la contredit (moyennant une certaine prudence sur les observations elles-mêmes). Lakatos remarque que cette vision n’est pas fidèle à l’histoire de la science : en effet, un certain nombre de théories ont été falsifiées sans que les scientifiques ne les aient abandonnées. Lakatos propose une autre conception, dans laquelle le champ d’application du falsificationnisme est restreint.

Au lieu de parler de « théories », Lakatos parle plutôt de « programmes de recherche ». Un programme de recherche est une structure composée des éléments suivants :

  • Un noyau théorique dur, protégé de toute falsification par une ceinture d’hypothèses auxiliaires (qui ne sont pas ad hoc !). Lakatos appelle ceci l’« heuristique négative ».
  • Un travail de recherche visant à compléter le noyau dur par de nouvelles hypothèses explicatives et prédictives. Ici, le falsificationnisme est globalement d’application. Lakatos appelle ceci l’« heuristique positive ».

Exemple : La théorie héliocentrique de Copernic est un programme de recherche dont le noyau dur est l’hypothèse que les planètes tournent autour du Soleil sur des orbites circulaires. Certaines observations sur le mouvement des planètes étaient contradictoires avec la théorie, mais celle-ci a été protégée de cette falsification par l’introduction des épicycles circulaires.

Exemple : La mécanique de Newton était incompatible avec le mouvement de la planète Mercure. Cependant, son noyau théorique a été protégé par des hypothèses auxiliaires telles que l’influence du Soleil ou celle d’un astre inconnu (qu’on appelait Vulcain) orbitant entre le Soleil et Mercure.

Méthodologie

Un programme de recherche est donc une structure dans laquelle s’insère une théorie ET l’activité scientifique centrée sur elle. Un tel programme peut se développer pendant tout un temps sans qu’une quelconque observation expérimentale ne puisse être faite. Lakatos accorde donc une certaine période de « maturation » à la théorie.

Une fois que le programme est mature, il est soumis (en partie) à la falsification et doit être capable de :

  • définir des directions pour la recherche future, c.-à-d. qu’il doit avoir tendance à progresser,
  • conduire à la découverte de phénomènes nouveaux (il doit être prédictif).

Un bon programme de recherche est un programme « fertile », c.-à-d. qui englobe une recherche active et fructifiante et qui mène à un grand nombre de nouvelles découvertes. Lakatos qualifie un tel programme de « progressiste ». Par contre, un mauvais programme de recherche est un programme qui a tendance à être « stérile » : sa recherche n’avance pas énormément et il n’apporte aucune nouvelle découverte. Un tel programme est dit « dégénérescent ».

Lorsque l’on a deux programmes de recherche concurrents, le meilleur est simplement le plus progressiste des deux. Le but de la science est de constamment rechercher le programme le plus progressiste possible.

Critique des programmes de recherche de Lakatos

Cette vision remarquable de la science a l’avantage de réintroduire une dimension plus « humaine » (mais pas sociale !) dans la science. Le falsificationnisme de Popper exacerbe l’attitude sceptique du scientifique (y compris envers ses propres théories !) alors que la vision de Lakatos lui permet de défendre ses idées fondamentales (qui constituent le noyau du programme de recherche) par diverses hypothèses auxiliaires.

En fait, la conception de Lakatos est pertinente pour décrire la plupart des théories scientifiques. Dans ce cas, possède-t-elle un défaut ? La réponse est oui.

Critique. Le défaut principal de cette conception, est qu’elle n’est d’aucune utilité au scientifique lui-même. En effet, Lakatos reconnaît que la seule façon de juger du caractère progressiste ou dégénérescent d’une théorie, c’est d’attendre que le temps passe. Les programmes de recherche sont une notion utile pour décrire la science, mais seulement en tant qu’historien analysant a posteriori les théories. Il s’agit donc d’une fausse méthodologie, car elle ne peut pas être adoptée concrètement.

 
 
 

Référence :

CHALMERS, Alan F., Qu’est-ce que la science ?, Paris : La Découverte, 1987.

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